Un soir comme les autres ( Libre )

Ce soir, comme tous les autres, les lumières cuivrées des chandeliers avaient éclairé le spectacle des danseuses du cabaret avant que les désignées de la nuit ne fassent sur la piste leur show individuel.
Revêtue d’un costume de gitane plutôt aéré, Elena avait dévoilé, parcelle par parcelle, à tous ces aristocrates en manque d’émotions viriles, son corps gracieux. Jouant avec le fébrilement des flammes des bougies tamisant la pièce, faisant de la musique vibrante de consonances lointaines une partenaire de danse, la jeune femme s’était plu à faire tourner toutes ces têtes embrumées par la force des alcools servis par la patronne.

Chaque table était occupée, la recette serait bonne mais elle le serait encore plus si chacune des filles pouvaient racoler un voire deux hommes. En ce moment même plusieurs tigresses étaient lâchées dans l’assemblée venant s’installer d’autorité sue les genoux d’aristocrates tirant sur leur cigare. Parfois elles se faisaient jeter sans ménagement atterrissant dans les bras d’un autre qui par chance se montrerait peut être plus intéressé.
C’était toujours la même musique, non seulement aux oreilles de tout ce beau monde mais aussi dans les habitudes de ces courtisanes de bas étage. Un homme n’en était pas réellement un , il était avant tout une passerelle pour gagner de l’argent tandis qu’elle ne demeuraient aux yeux de ces derniers qu’une matière consommable.

D’âme, elles n’en avaient pas, de passé non plus elles possédaient juste un corps , un corps et des techniques pour amadouer les clients potentiels.

Sur la fin de son numéro, portant uniquement un sous vêtement qui avait tout d’un bout de ficelle, Elena était descendue de l’estrade sous les sifflements impatients de ces messieurs. Quelques uns du premier rang purent la recevoir sur leurs genoux , leurs mains baladeuses étaient vite rabattues avec un regard provoquant. Les mains de la danseuse couraient sur leurs torses, prometteuses de caresses délicieuses tandis que ses prunelles sombres captaient celles plus où moins hagardes des hommes.
Puis avec une grâce insolente, elle rejoignit la piste pour jouer avec la barre verticale autour de laquelle elle tournoyait avec langueur avant de se débarrasser du dernier rempart vestimentaire.
La danse continua, plus brûlante qu’auparavant faisant s’effondrer les dernières lueurs de discernement de la clientèle.

Enfin le rideau tomba rompant enfin ce contact aussi malsain qu’habituel dans une ultime révérence vicieuse. Une fille lança à Elena une robe légère que celle-ci attrapa au vol afin de couvrir sa nudité d’un geste machinal et dénué de cette grâce qu’elle avait su montrer aux yeux des clients. Puis la jeune femme s’engagea vers les coulisses puis devant un miroir tape à l’œil peaufina son maquillage avec un peu de poudre qui traînait dans son étui sur une commode et disciplina un tantinet son chignon fou duquel s’échappait des mèches souples.

La seconde partie de la soirée pouvait commencer, Elena rejoignit sa loge d’un pas rapide diffusant dans le couloir un sillage parfumé puis poussa la porte qu’elle prit soin de refermer derrière elle. Adossée contre celle-ci , la jeune femme poussa un long soupir ; cette nuit allait être comme toutes les autres. Un homme allait entrer, serait-il grand ou petit ? Ses yeux seraient-ils affamés de sexe et de rage ou alors quémandeurs d’une sensuelle affection ?

D’un geste las, elle se détacha du pan de la porte pour s’appuyer sur la table de sa coiffeuse et observer son reflet dans le miroir d’un air lointain. Elle ressemblait de plus en plus à sa mère, jusqu’à l’humeur d’insondable résignation qui sourdait au fond de ses prunelles.